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Perspectives 2019

Réorientation des politiques

Au moment où le gouvernement évalue de nouveaux moyens de limiter les émissions de ges dues aux transports, il est temps d’examiner. Le rôle du consommateur, aujourd’hui et dans l’avenir.

Lorsque Ralph Nader, le défenseur des droits des consommateurs, a publié Unsafe at Any Speed en 1965 (publié en français en 1966 sous le titre Ces voitures qui tuent), son impact fut immédiat et profond. Ce succès de librairie levait le voile sur une industrie de l’automobile qui avait négligé de prioriser la sécurité des véhicules. Ce livre suscita des audiences du Sénat américain qui menèrent à l’adoption d’un éventail de règlements de sécurité ciblant les constructeurs de véhicules. Les ceintures de sécurité devinrent obligatoires. Puis, les appuie-tête, les volants télescopiques et finalement les coussins gonflables. Aujourd’hui, la sécurité automobile a atteint un sommet.

Les gouvernements ont de nouveau réglementé l’industrie de l’automobile à compter des années 70, l’objectif étant alors la réduction de la pollution atmosphérique. Cette fois les règlements visaient les émissions de principaux contaminants atmosphériques (PCA) des véhicules, y compris les oxydes d’azote et les composés organiques volatils (COV). Les nouvelles voitures actuelles n’émettent pratiquement aucun PCA.

« L’industrie de l’automobile est habituée d’être la cible de règlements lorsque les gouvernements adoptent des politiques sociales, commente Dennis DesRosiers, analyste et président de DesRosiers Automotive Consultants. Étant donné ces réalisations pour ce qui est de la sécurité et de la réduction des PCA, les gouvernements en sont venus à considérer la réglementation des constructeurs automobiles comme un puissant outil. »

Récemment, le gouvernement s’est de nouveau tourné vers la réglementation pour s’attaquer à un autre enjeu de politique sociale, la réduction des émissions de gaz à effet de serre (GES). De nouveau, les fabricants de véhicules ont été la principale cible de ces règlements.

« On tient pour acquis qu’il y a une relation directe entre l’économie de carburant et les GES, poursuit M. DesRosiers. Pour s’attaquer aux émissions de GES, on doit rehausser l’économie de carburant et réduire la quantité de carburant à base de pétrole que le véhicule utilise. »

CONSÉQUENCES IMPRÉVUES

Encore une fois, la réglementation a eu une incidence, qui n’a toutefois pas été entièrement celle que l’on prévoyait. « Je fournis au gouvernement des cotes de consommation de carburant depuis deux décennies, commente M. DesRosiers. Au cours de la dernière décennie, toutes les catégories de véhicules au pays se sont améliorées d’environ deux pour cent par année. La grande majorité des véhicules du parc sont donc 20 pour cent plus économiques en carburant aujourd’hui qu’il y a 10 ans. De fait, la moyenne se rapproche de 26 pour cent. »

On s’attendrait à ce que de telles améliorations aient entraîné de remarquables réductions des émissions de GES au Canada. Ce n’est pas le cas.

« Ce que j’entends dans les groupes de discussion c’est que tous les consommateurs veulent une meilleure vie, constate M. DesRosiers. Si l’on traduit ce désir en termes de leur choix de véhicule, cela signifie “Je veux une voiture qui a plus d’élan”. Ils veulent un véhicule plus gros et plus puissant. »

C’est ce qu’ils ont obtenu. Au fil de l’amélioration de la technologie des moteurs à combustion interne (MCI), la puissance de ces moteurs a augmenté. Selon M. DesRosiers, le véhicule moyen actuel dispose d’environ 100 chevaux de plus qu’il y a 20 ans. « Chaque fois qu’un constructeur d’automobiles inaugure des progrès d’efficacité énergétique, les consommateurs ont tendance à se procurer des véhicules plus gros et plus puissants, ce qui atténue l’amélioration nette de l’économie de carburant de l’ensemble du parc. »

Il y a également les chiffres de vente.

« Les consommateurs deviennent propriétaires de véhicules à un rythme record », poursuit M. DesRosiers. Entre 2000 et 2017, le nombre de véhicules sur la route au Canada a augmenté de 9,2 millions d’unités. Si l’on fait des prévisions en fonction des ventes actuelles, M. DesRosiers estime qu’il y aura 8 à 10 millions de véhicules additionnels sur les routes d’ici 2030. De plus, toute la récente croissance des ventes se retrouve dans le segment des fourgonnettes, qui ont tendance à être moins économiques en carburant. Les ventes de véhicules particuliers ont chuté.

« Ce que j’entends dans les groupes de discussion c’est que tous les consommateurs veulent une meilleure vie, constate M. DesRosiers. Si l’on traduit ce désir en termes de leur choix de véhicule, cela signifie “Je veux une voiture qui a plus d’élan”. Ils veulent un véhicule plus gros et plus puissant. »

Dennis DesRosiers
Président de DesRosiers
Automotive Consultants

LES RÈGLEMENTS SUR LE RENDEMENT ÉNERGÉTIQUE ONT-ILS EU UN EFFET INVERSE À CELUI ESCOMPTÉ?

La réglementation sur la sécurité et les émissions de PCA a exigé l’adoption de mesures par les constructeurs d’automobiles. Cela est vrai également de la réglementation sur le rendement énergétique, mais comme le souligne M. DesRosiers, l’économie de carburant ne fonctionne que si les consommateurs en décident ainsi. « Si le consommateur veut acheter le véhicule le moins économique en carburant, il n’y a rien que le concessionnaire ou le constructeur puissent faire pour l’en empêcher », explique-t-il. Inverser l’approche et restreindre les options des consommateurs est un choix politique risqué. Comme le fait remarquer M. DesRosiers : « Les consommateurs votent. Les constructeurs, non. »

ÉCART ENTRE LA POLITIQUE DU GOUVERNEMENT ET LES OBJECTIFS DES CONSOMMATEURS

Les réductions d’émissions semblent être incompatibles avec la préférence des consommateurs. Cela fait partie des constatations d’une récente étude du comportement des consommateurs réalisée par le Centre on the Low-Carbon Growth Economy (Centre sur l’économie à faible croissance de carbone) du Conference Board du Canada (CBdC), qui fait appel à la recherche et au dialogue pour élaborer une transition efficace et efficiente vers un avenir à faible intensité de carbone et une croissance économique viable au Canada.

« L’une des profondes révélations de notre étude est que la plupart des consommateurs canadiens appuieraient une transition vers une économie à faibles émissions », indique M. Ovo Adagha, Ph.D., principal associé en recherche du CBdC. Plus de 80 pour cent des répondants pensaient qu’ il était de la responsabilité de tous les citoyens de changer leurs habitudes et de réduire leur empreinte carbone. « Pourtant, un tiers des répondants ne sont pas prêts à abandonner leur voiture pour réduire cette empreinte, ajoute Roger Francis, directeur, Politique de l’énergie, de l’environnement et du transport, au CBdC. « Cela démontre assez bien que la politique en matière de transport n’a pas encore eu d’incidence sur le comportement des consommateurs. »

M. Francis pense que cette étude constitue un plaidoyer en faveur d’une politique plus axée sur le consommateur. « De nombreuses pratiques politiques actuelles semblent déconnectées des véritables objectifs des consommateurs, dit-il. Je pense qu’il y a là une occasion de faire du consommateur un élément clé de l’équation politique. Des politiques qui mettent en œuvre une connaissance approfondie du comportement des consommateurs pourraient potentiellement accélérer la transition vers une économie à faibles émissions. »

« En général, les consommateurs considèrent que l’étiquette de respect de l’environnement accolée aux produits est importante, indique M. Adagha. Nous constatons toutefois que la majorité des gens ne sont pas influencés par de telles étiquettes lorsqu’ils font un achat, surtout s’ils doivent choisir entre d’autres produits qui offrent plus au niveau de la valeur, du prix et de la qualité. »

Dr. Ovo Adagha
Principal associé en
recherche du CBdC

« Il est préférable de présenter aux gens trois ou quatre versions différentes et de demander “Pour quelle politique êtes-vous le plus susceptible de passer à l’action?”, dit Soman. Cela correspond mieux à la manière dont les humains expriment leurs préférences. »

Dr. Dilip Soman
Titulaire de la Chaire de recherche du Canada en Science du comportement et en Économie

UNE NOUVELLE APPROCHE DE L’ÉCONOMIE

M. Dilip Soman, Ph.D., s’y connaît en comportement humain. Il est titulaire de la Chaire de recherche du Canada en Science du comporte­ment et en Économique, professeur à l’École de gestion Rotman de l’Université de Toronto, ainsi que directeur du centre de recherche Behavioural Economics in Action at Rotman (BEAR).

« Nous étudions le domaine de la prise de décisions économiques sous l’angle humain, dit M. Soman. L’économie classique dressait un portrait des consommateurs comme étant rationnels, peu émotifs, tournés vers l’avenir et capables d’absorber toute l’information qu’on leur présente. L’économie comportementale reconnaît que les gens sont oublieux, émotifs, impulsifs, déconcertés par un trop grand nombre de choix et peu disposés à absorber trop d’information. »

M. Soman croit que nous devons assouplir certaines des hypothèses que nous faisons à propos des motivations et des comportements des consommateurs et commencer à impliquer les citoyens dans le processus d’élaboration des politiques. « Il est préférable de présenter aux gens trois ou quatre versions différentes et de demander “Pour quelle politique êtes-vous le plus susceptible de passer à l’action?”, dit-il. Cela correspond mieux à la manière dont les humains expriment leurs préférences. »

M. Soman souligne le récent succès du programme de dons d’organes de l’Ontario. « Beaucoup de gens en Ontario ont exprimé une préférence pour être donneurs d’organes, mais lorsque vient le temps de passer à l’action, les dix minutes de bureaucratie entravent le processus. Nous nous sommes dit, supposons que nous encouragions les gens à s’engager lorsqu’ils sont occupés à une autre tâche, comme le renouvellement de leur permis de conduire. C’est quelque chose qu’ils doivent faire de toute façon. Encourageons-les en posant une question précise : “Aimeriez-vous donner vos organes?” Simplifions le processus pour que ce soit facile de dire oui. Permettons-leur de manifester leurs préférences. »

La tactique a réussi. Lors de tests, l’intervention a fait augmenter le taux d’enregistrement de donneurs d’organes de 143 pour cent. Une fois mis en œuvre à l’échelle de la province, un formulaire de demande simplifié a sensiblement rehaussé la possibilité que les préférences des gens se manifestent en actions.

ÉCONOMIE COMPORTEMENTALE APPLIQUÉE

M. Soman et son équipe ont récemment appliqué les connaissances comportementales à l’étude des véhicules électriques (VE). « Nous étions intéressés à apprendre pourquoi des gens qui se soucient de l’environnement n’adoptent pas les véhicules électriques, explique M. Soman. Il y a une certaine résistance comportementale qui a à voir avec l’habitude. Nous avons l’habitude de trouver facilement une station-service lorsque nous avons besoin de carburant. Avec les VE, cette habitude doit changer. Les gens sont inquiets de se retrouver dans un endroit où il est impossible de recharger. »

L’équipe a mis au point une série d’interventions qui clarifiaient l’avantage économique des véhicules électriques et, afin de réduire la nervosité quant à l’autonomie, ont rendu plus facile pour les consommateurs de trouver des postes de recharge. Au moment de la rédaction, M. Soman et son équipe en étaient à l’étape du test de leurs interventions.

« De nombreuses pratiques politiques actuelles semblent déconnectées des véritables objectifs des consommateurs, dit Francis. Je pense qu’il y a là une occasion de faire du consommateur un élément clé de l’équation politique. Des politiques qui mettent en œuvre une connaissance approfondie du comportement des consommateurs pourraient potentiellement accélérer la transition vers une économie à faibles émissions. »

Roger Francis
Directeur, Politique de l’énergie, de l’environnement
et du transport, au CBdC

POLITIQUE ET RÉGLEMENTATION AXÉES SUR LE CONSOMMATEUR

Certains experts de l’industrie automobile pourraient être sceptiques quant à l’impact de ces interventions sur les ventes de VE, dans une application à grande échelle. L’industrie fait le suivi de 33 facteurs qui influent sur les décisions d’achat de voitures des consommateurs. Le rapport qualité-prix est numéro un. L’économie de carburant a chuté de la troisième à la cinquième place depuis 2010. Le bilan environnemental d’un véhicule se retrouve au trentième rang. Ce classement est conforme aux constatations de l’étude de consommation du CBdC.

« En général, les consommateurs considèrent que l’étiquette de respect de l’environnement accolée aux produits est importante, indique M. Adagha. Nous constatons toutefois que la majorité des gens ne sont pas influencés par de telles étiquettes lorsqu’ils font un achat, surtout s’ils doivent choisir entre d’autres produits qui offrent plus au niveau de la valeur, du prix et de la qualité. »

Le conseil de M. Soman aux responsables des politiques climatiques est de ne pas trop insister sur les avantages des émissions réduites. « Les gens comprennent cela, dit-il. La clé est de cibler ceux qui sont psychologiquement engagés à prendre des décisions respectueuses de l’environnement et d’utiliser les connaissances comportementales essentiellement pour les influencer et les aider à atteindre leur objectif. »

Dennis DesRosiers explique à quoi une telle politique axée sur les consommateurs pourrait ressembler. « Le mot clé dans le secteur automobile au cours des dix dernières années a été la qualité, dit-il. Résultat, les durées de service des véhicules ont essentiellement doublé entre 2000 et 2017. »

M. DesRosiers estime que 90 pour cent des véhicules âgés ne seront pas mis à la ferraille avant 20 à 25 ans, et que les moins économiques en carburant d’entre eux demeureront sur la route le plus longtemps.

« Gardez à l’esprit les gains de rendement énergétique de 20 pour cent du parc qui ont été réalisés dans les véhicules à moteur à combustion interne au cours des 10 dernières années, conclut-il. Si le but est réellement de réduire les émissions de GES au Canada, le chemin le plus court pour y parvenir est d’encourager les gens à se débarrasser de leurs vieilles voitures et à en acheter de nouvelles. »

Grâce à l’intégration des connaissances comportementales dans les campagnes de relations publiques, on pourrait informer les consommateurs des économies offertes par les nouveaux véhicules. La réduction des taxes fédérales et provinciales sur les véhicules neufs pourrait être compensée par des augmentations de taxes sur les achats de véhicules d’occasion. On pourrait également offrir une compensation aux consommateurs forcés de retirer de vieux véhicules de la route.

Le moment pourrait être bien choisi pour un tel ensemble de mesures réglementaires. L’étude du Conference Board du Canada suggère qu’il y a place pour rehausser la confiance des consommateurs envers les gouvernements au niveau de la planification et du rythme de l’atténuation du changement climatique. Il est clair que les Canadiens veulent une démonstration de leadership. La question est : est-ce que la volonté politique d’agir est présente? 

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